By Dr Luis Pizarro, DNDi Executive Director
First published in La Croix on 1 December 2022
En cette Journée mondiale de lutte contre le sida jeudi 1er décembre, explique ce responsable d’une ONG médicale, il est crucial de rappeler que pour faire reculer l’épidémie il ne faut pas oublier les plus vulnérables, à savoir les enfants, grands oubliés du dépistage et des soins, alors que les solutions médicales existent.
Si des progrès spectaculaires ont été accomplis depuis deux décennies dans la lutte contre le VIH, notamment en Afrique, des patients particulièrement vulnérables et négligés continuent, loin des regards, de passer entre les mailles du filet : les enfants. Aujourd’hui encore, 1,7 million d’enfants de moins de 15 ans vivent avec le VIH – dont 84 % en Afrique subsaharienne. À peine la moitié d’entre eux (52 %) reçoivent le traitement antirétroviral dont ils ont besoin pour rester en vie – et ce chiffre est encore plus bas en Afrique de l’Ouest et du Centre (35 %). Sans médicament, un enfant séropositif sur deux n’atteint pas son deuxième anniversaire. Conséquence : chaque jour, 300 enfants meurent de causes liées au VIH.
Les enfants restent au bord du chemin
Les causes de cette situation inacceptable sont complexes. Moi-même médecin, j’ai travaillé de nombreuses années en Afrique de l’Ouest au renforcement des structures de santé de lutte contre le VIH ; je peux témoigner des efforts extraordinaires menés par les associations communautaires et les équipes de santé sur le terrain pour permettre aux personnes atteintes de VIH d’accéder au dépistage et aux traitements. J’ai vu comment l’action conjuguée des pouvoirs publics, des associations et des donateurs internationaux a permis de mettre fin à l’hécatombe qui faisait des ravages sur le continent. Des millions de vies ont été sauvées. Mais même dans les pays où la prise en charge des patients vivant avec le VIH fonctionne bien, les enfants restent au bord du chemin.
La plupart des infections pédiatriques à VIH sont dues à la transmission du virus de la mère à l’enfant, durant la grossesse, l’accouchement ou l’allaitement. Mais parce qu’elles redoutent la discrimination associée à la maladie – stigmatisation d’une violence parfois extrême – et craignent d’être rejetées par leur entourage, beaucoup de mères ne se font pas tester et ne sont pas correctement prises en charge. Loin des grandes villes, l’accès aux tests PCR nécessaires au diagnostic des enfants peut être difficile. Beaucoup d’enfants continuent ainsi de naître avec le VIH, alors que depuis plus de vingt ans les thérapies permettent d’empêcher la transmission d’une maman enceinte à son bébé.
Pas de médicaments adaptés
Ces problèmes systémiques sont aggravés par un facteur majeur : l’absence de médicaments adaptés aux besoins des plus petits. Les thérapies antirétrovirales ont fait d’énormes progrès en 30 ans pour les adultes, au point que la maladie, autrefois synonyme de condamnation à mort, se traite maintenant à l’aide d’un comprimé quotidien, comme pour une maladie chronique. Mais les enfants sont restés à l’écart de ces innovations.
Le problème est loin d’être trivial. Certaines thérapies ont un goût très amer, et les mères m’expliquaient leurs immenses difficultés à faire avaler à leur bébé un médicament pouvant contenir jusqu’à 40 % d’alcool. Les petits le recrachent. D’autres traitements doivent se conserver au réfrigérateur, une gageure dans certaines régions. Certains se présentent sous forme d’énormes comprimés, que les mères doivent réduire en morceaux et doser du mieux qu’elles peuvent, transformant le rituel quotidien du médicament en cauchemar.
Cette absence de formulations pédiatriques s’explique par la simple loi du marché. Des pays comme la France parviennent à empêcher la transmission du VIH de la mère à l’enfant et de ce fait l’immense majorité des enfants séropositifs vivent dans les pays du Sud : ils ne constituent pas un marché suffisamment lucratif pour que le secteur pharmaceutique traditionnel n’investisse.
L’absence de recherche, un défi monumental
Heureusement, la situation s’améliore. Le dolutégravir, un antiviral de première ligne, est depuis peu disponible sous une forme pédiatrique. Mon organisation de recherche médicale à but non lucratif a de son côté mis au point une combinaison de quatre antirétroviraux, le 4-en-1, qui se présente sous forme de granulés faciles à mélanger à de la nourriture et qui a un goût… de fraise, résolvant ainsi le problème du goût épouvantable des médicaments précédents.
Cette combinaison a été approuvée en juin par les autorités d’Afrique du Sud, pays très affecté par le VIH, et nous espérons son enregistrement prochain par d’autres pays du continent.
Dans ce succès, il faut souligner le rôle crucial joué par la France, qui a financé en grande partie la recherche et le développement du 4-en-1 via l’Agence française de développement (AFD) et l’organisation onusienne Unitaid. Ce soutien s’inscrit dans le cadre d’une vision commune qui fait des technologies de santé un bien commun mondial, accessible à tous et dont l’existence ne peut être dictée par la seule loi du marché.
Car l’accès est un défi aussi monumental que l’absence de recherche. Disposer de médicaments adaptés, efficaces et sûrs ne suffit pas. Il faut aussi trouver des solutions pour dépister et identifier les centaines de milliers d’enfants séropositifs, former le personnel soignant à ces patients négligés, et sensibiliser les pouvoirs publics.