Le chercheur et médecin congolais Dr Jack Zawadi est l’un des boursiers (ou fellows) 2024 du programme de Leadership en Recherche Clinique de l’OMS-TDR (WHO-TDR Clinical Research Leadership). En avril, il a rejoint pour un an l’équipe filarioses de DNDi pour contribuer à nos travaux de recherche sur la cécité des rivières, y apportant sa vaste expérience de gestion d’essais cliniques en RDC – notamment dans les zones affectées par des conflits armés.
Dr Zawadi est affilié au Centre de Recherche en Maladies Tropicales (CRMT) à Rethy, dans la province de l’Ituri au nord-est de la République Démocratique du Congo (RDC), où il a été investigateur d’un essai de phase III pour tester l’efficacité et la sécurité du moxidectine contre la cécité des rivières.
Quelles sont vos attentes concernant ce fellowship TDR?
Mon travail au Centre de Recherche en Maladies Tropicales m’a donné le goût de la recherche. Il n’y a pas assez de chercheurs dans notre région, pas assez d’épidémiologistes pour alerter et conseiller les autorités, alors que les besoins sont immenses. Je veux donc identifier les problèmes de santé de nos communautés et mener des études qui permettront d’obtenir les données épidémiologiques nécessaires pour informer les autorités en vue d’une intervention.
‘En raison du contexte géopolitique tendu de ma région natale et par peur pour leur sécurité, peu de chercheurs peuvent se pencher sur les problèmes de santé qui frappent les populations, lesquelles se trouvent de facto négligées.’
Dr Jack Zawadi
Par exemple, une épidémie de peste continue d’affecter, depuis 2020, les zones de santé de Rethy, Linga, Jiba et Logo : l’insécurité persistante dans la région et le manque de données empêchent les interventions d’être efficaces.
Ce fellowship représente aussi une opportunité cruciale pour l’organisation basée en Ituri et pour laquelle je travaille, le Centre de Recherche en Maladies Tropicales (CRMT) de Rethy. Pour assurer la pérennisation de ses activités, le CRMT a besoin de chercheurs expérimentés et bien formés – notamment aux procédures nécessaires à la conduite d’études cliniques.
C’est pourquoi j’entends mettre à profit cette année passée à DNDi pour affiner mes connaissances en gestion de projet de recherche clinique. J’espère que cette expérience m’aidera à intégrer le monde de la recherche de façon plus efficace, ce qui nécessite aussi d’améliorer ma maîtrise de l’anglais et… des outils informatiques !
Quelle sera votre rôle au sein de l’équipe de DNDi?
Je travaille sur un essai clinique de Phase II qui teste la sûreté et l’efficacité d’une molécule, l’emodepside, contre la cécité des rivières. Ma contribution consiste – entre autres – à revoir le protocole, le manuel de l’investigateur et les procédures pour les adapter aux réalités du terrain et à faciliter leur compréhension par les équipes de recherche sur les sites d’essai.
De mon côté, en côtoyant les chercheurs de DNDi, je vais apprendre toute la gestion d’un essai clinique, ce qui inclut sa conception, l’élaboration de son protocole, la rédaction de toutes les documentations nécessaires, les exigences des autorités de réglementations et des comités d’éthiques, ou encore les contrats de partenariat.
Je devrais aussi maîtriser le rôle et les responsabilités d’un investigateur principal, qui est le point focal entre le sponsor et les autorités. J’apprendrais en faisant, et je suis très heureux de faire ce bout de route avec DNDi.
Vous parlez de “réalités du terrain” ; pourriez-vous nous raconter les réalités de la gestion d’un essai clinique dans une zone de conflit?
Avant de rejoindre le CRMT, je travaillais comme médecin traitant dans le centre de santé de référence de Libi, dans la province de l’Ituri. Mi-2019, des affrontements entre les rebelles et l’armée régulière nous ont forcés à fuir, avec toute ma famille. Pendant cette période, j’ai rejoint l’équipe de riposte Ebola en tant que superviseur. Je suis revenu à Libi en avril 2020, dans un contexte de déplacements permanents des populations fuyant les atrocités des groupes armés.
En février 2021, j’ai été recruté par le CMRT en tant qu’investigateur d’une étude clinique sur la cécité des rivières. Une semaine après mon départ de Libi, le centre de santé où je travaillais a été pillé par des hommes armés qui ont volé tout le matériel de la salle d’opération, le stock de médicaments et les matelas des lits des patients. Le centre a dû rester fermé pendant près de 18 mois.
L’étude du CMRT à laquelle je participais était un essai de Phase IIIb qui testait la sûreté et l’efficacité d’une ou de deux doses annuelles de moxidectine, comparé à l’ivermectine, dans la zone de santé rurale de Logo, dans le territoire de Mahagi, voisin de l’Ouganda. L’équipe était fantastique. Nos activités étaient parfois perturbées par l’incursion de groupes armés dans les villages des participants, provoquant des déplacements de populations et perturbant nos activités de recrutement et de suivi des patients.
Ces incursions armées étaient aussi dangereuses pour nous, le personnel du CMRT, et nos familles. Mon deuxième enfant est né dans l’Hôpital Général de Référence de Rethy pendant la période des affrontements réguliers entre les groupes armés et l’armée loyaliste, et parfois entre des factions rivales ; le jour de sa naissance, je revenais du terrain avec mon équipe et nous avons été pris dans une embuscade, nous avons même essuyé des tirs. Heureusement, nous avons pu rejoindre le bureau du CRMT indemnes.
Ce sont des réalités à prendre en compte quand on mène des essais dans certaines régions endémiques en RDC ces dernières années.
Que ferez-vous après ce fellowship?
Dans la région de RDC où je travaille, toutes les maladies tropicales négligées ont un fort impact social et économique, certaines personnes affectées s’isolent socialement et n’ont pas accès aux soins. Le relief de la région, faite de forêts et des cours d’eau rapides, est favorable au développement de la cécité des rivières en particulier, mais aussi d’autres maladies qui méritent d’être davantage recherchées.
Après ce fellowship, mon ambition est donc de mener avec le CRMT des études de prévalence de la cécité des rivières et d’autres maladies qui sont négligées en raison des difficultés d’accès et de problèmes récurrents d’insécurité. J’espère que les liens solides noués avec DNDi permettront de faciliter le travail des chercheurs du CRMT, et donc de venir en aide aux populations vulnérables qui n’ont pas accès aux soins dont elles sont besoin.
Développer de nouvelles molécules contre les maladies négligées, en menant des essais cliniques dans cette région, peut jouer un rôle capital dans ces efforts. C’est pourquoi ce fellowship à DNDi est si important.