« Vos Majestés, Vos Altesses Royales, distingués membres du jury, excellentissimes lauréats, très illustres autorités, Mesdames et Messieurs,
Pour vous dire la vérité, dans un monde idéal, je ne devrais pas être ici aujourd’hui avec vous.
En effet, dans un monde idéal, aucun patient ne serait négligé, et nous n’aurions pas besoin d’exister.
Et pourtant, ils sont des millions. Des millions de malades négligés, oubliés, invisibles, frappés par des maladies souvent mortelles, pour lesquelles les médicaments qui pourraient les soigner n’existent pas.
Ces patients sont trop pauvres pour que leurs maladies intéressent notre partie du monde.
Comme Amasi, une jeune Soudanaise de 18 ans, atteinte de mycétome, une maladie qui détruit les tissus et que de nombreux enfants de son village contractent en marchant pieds nus sur des épines infectées. L’amputation est souvent la seule solution. Amasi était en fauteuil roulant, ne réagissant pas bien aux soins, et aujourd’hui nous n’avons plus de nouvelles d’elle.
Je pourrais aussi vous parler de Bimal, un ouvrier indien qui vit avec le VIH et une maladie appelée leishmaniose. En Espagne, nous la connaissons parce qu’il s’agit d’une maladie des chiens, mais dans de nombreux pays, elle affecte les personnes. Bimal ne peut plus travailler à cause de sa maladie, ce qui a plongé sa famille dans la misère, et obligé son fils de 14 ans à arrêter l’école, pour travailler et nourrir les siens.
Ce ne sont que des exemples parmi tant d’autres, de ces maladies qui chaque jour tuent, défigurent, handicapent et ruinent – non seulement ceux qu’elles infectent, mais aussi leurs communautés et leur proches.
Les maladies négligées touchent, selon les chiffres de l’OMS, une personne sur cinq dans le monde. Un milliard six cent millions de personnes souffrent de l’une d’entre elles chaque année.
Nombre d’entre elles apparaissent dans de nouvelles régions, notamment en raison du changement climatique et des mouvements de population. En Espagne, par exemple, on trouve désormais des patients atteints de la maladie de Chagas ou des cas croissants de dengue.
La maladie de Chagas sera bientôt l’une des principales causes de transplantation cardiaque en Espagne. Les traitements existants ne sont pas satisfaisants et seulement 1 % des personnes infectées en bénéficient.
Cette situation inacceptable n’est cependant pas une fatalité. Aujourd’hui, nous avons la possibilité de ne plus ignorer ces patients.
C’est vrai ! Regardez la pandémie de COVID-19 ! Elle a montré à tous les réalisations extraordinaires, dont est capable la science – avec un peu de volonté politique : en moins d’une année, des vaccins ont été inventés et distribués, pour une maladie qui n’existait pas une année plus tôt !
Si nos patients sont privés des progrès de la recherche médicale, c’est parce qu’ils sont nés au mauvais endroit.
Ils sont oubliés par la recherche pharmaceutique traditionnelle, parce qu’ils sont considérés comme trop pauvres pour constituer un marché suffisamment lucratif ; et ils sont négligés par les décideurs politiques parce qu’ils n’ont pas de voix à faire entendre, parce que la pauvreté les marginalise aux frontières de notre société.
Mais je ne viens pas ici pour donner des leçons de moralité. Je viens au contraire avec un message d’espoir.
En travaillant étroitement avec des partenaires dans les pays touchés par ces maladies, mon organisation a réussi à développer 12 nouveaux traitements pour les patients négligés.
Ce n’est pas une exagération de le dire: ensemble, nous avons ainsi sauvé des millions de vies.
Ensemble, nous démontrons par l’exemple qu’un modèle non-lucratif de développement de médicaments, basé sur les besoins des patients, est possible.
C’est pourquoi je tiens à remercier chaleureusement la Fondation Princesse des Asturies pour ce prix, qui représente une formidable plateforme pour vous parler de cette question. Nous sommes rassurés de savoir que les questions de santé mondiale sont cruciales pour le jury et leurs Majestés, qui ont déjà récompensé des institutions telles que l’OMS avec ce prix. Nous vous remercions du fond du cœur.
Permettez-moi de conclure par une belle histoire, celle de Brinol, un petit Congolais de 12 ans. En avril dernier, Brinol a été diagnostiqué positif à la maladie du sommeil.
Il s’agit d’une maladie terrible qui, si elle n’est pas traitée, entraîne inévitablement la mort. Il y a vingt ans, à la naissance de DNDi, le traitement disponible consistait en des injections d’un médicament à base d’arsenic, si toxique qu’il tuait un patient sur vingt.
Il y a 20 ans, quand DNDi a été créée, le seul traitement disponible pour les patients atteints du stage avancé de la maladie consistait en des injections d’arsenic qui étaient si toxiques qu’elles tuaient un patient sur 20.
Mais nous avons développé, avec tous nos partenaires, un comprimé simple, sûr, efficace. Brinol l’a pris pendant 10 jours, chez lui. Il est guéri, et il rêve de devenir mécano comme son père.
Au-delà du cas de Brinol, grâce à l’introduction de ce traitement simple, nous pouvons aujourd’hui envisager la possibilité d’éliminer définitivement la maladie du sommeil sur toute la planète.
Je suis venu à Oviedo, sur cette belle terre asturienne, pour vous dire qu’aujourd’hui, en 2023, grâce aux avancées de la science, au travail de nos équipes et de nos partenaires, grâce à l’attention que vous nous portez avec ce prix, nous pouvons, tous ensemble, en finir avec les maladies négligées.
Merci à tous. »
Références
- Discours de James Orbinsky pour la remise du Nobel à MSF, 1999
- Autres discours d’acceptation de la cérémonie de remise de prix Princesse des Asturies 2023
Photo credits: Fundación Princesa de Asturias