By Bernard Pécoul, DNDi Executive Director, and Stéphanie Seydoux, Ambassador for Global Health, Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères
First published in La Croix on 29 January 2021
L’hôtel de ville de Paris, les pyramides de Giza, le Christ de Rio… Plus de 50 monuments s’illumineront, le 30 janvier, dans 25 pays participant à la deuxième journée mondiale des maladies tropicales négligées (MTN). Soit une vingtaine de maladies qui affectent, d’après Médecins sans frontières (MSF), 1,7 milliard d’êtres humains.
Parmi elles, la rage, la dengue, mais aussi le kala-azar (ou « leishmaniose viscérale ») : causée par un parasite, cette maladie provoque une fièvre persistante et détruit le système immunitaire. Sans traitement, elle entraîne la mort dans 75 à 95 % des malades. « Peu connue, elle affecte environ 700 000 personnes et en tue environ 30 000 par an », indique le docteur Gabriel Alcoba, membre de Médecins sans frontières (MSF) spécialiste du sujet.
Qui souligne aussi les conséquences des morsures de serpents : «140 000 morts, des millions de personnes envenimées, avec des hémorragies, traumatismes moteurs et amputations». Alors que les anti-venins font défaut, ou sont proposés à un prix prohibitif.
Le danger du « covido-centrisme »
« À l’heure du “covido-centrisme”, il faut mettre en lumière ces maladies, aussi appelées “maladies de la pauvreté” », souligne Nathalie Strub-Wourgaft, chargée du sujet au sein de l’ONG Initiative pour des médicaments en faveur des maladies négligées (abrégée DNDi en anglais).
Basée à Genève, l’organisation promeut le développement de médicaments contre les MTN et attire l’attention sur ces fléaux, qui frappent surtout les zones reculées de pays d’Afrique, d’Amérique du sud et d’Asie du sud-est. Alimentant un cercle vicieux : « Engendrées par des conditions de vie très précaires qui favorisent l’infection, les maladies placent les populations encore plus à l’écart et dans la pauvreté », soupire Nathalie Strub-Wourgaft.
La priorité donnée au coronavirus a dégarni des moyens déjà insuffisants : « Les ressources ont été réorientées au détriment des programmes dédiés à ces maladies », constate la responsable. Sans oublier les restrictions de transports qui ont fragilisé l’approvisionnement : certains pays ont stoppé des campagnes de distribution de médicaments.
L’Agence française de développement (AFD), qui finance la démarche de DNDi, se veut plus optimiste : « Il y a un risque d’éviction évident, mais les maladies négligées restent en haut de notre agenda », assure Jérôme Weinbach, responsable de la division Santé et Protection Sociale. D’après lui, les moyens alloués au Covid-19 permettront de constituer des « plateaux experts pour le diagnostic et la prise en charge des maladies infectieuses, quelles qu’elles soient ».
Faible intérêt de l’industrie pharmaceutique
Autre difficulté, le manque d’intérêt de l’industrie pharmaceutique pour le développement de médicaments adaptés : «Les grandes entreprises ont tendance à diminuer leurs efforts, pour des raisons de rentabilité évidente : ces produits sont inabordables dans les pays touchés», détaille Gabriel Alcoba.
Un calcul économique qui n’empêche pas certains progrès : Sanofi a ainsi noué un partenariat avec DNDi qui a permis de mettre au point un comprimé efficace contre la maladie du sommeil. En repartant d’un antiparasitaire dont le développement avait débuté dans les années 1970 : «Il est possible de trouver une nouvelle indication à des médicaments oubliés », remarque Gabriel Alcoba. Mais à terme, « il faudra encourager le made in Africa et œuvrer pour la souveraineté des pays dans leur gestion et prévention des crises », plaide Jérôme Weinbach.
Alors que la pandémie ne faiblit pas, reste à savoir si la journée du 30 janvier suffira à mobiliser assez de fonds. Selon Gabriel Alcoba, il faudrait « atteindre le même niveau que le fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme ». Fondé en 2002, celui-ci a permis de faire reculer ces trois maladies, en y consacrant 45 milliards de dollars (37 milliards d’euros).
Le médecin alerte sur les conséquences du ralentissement de la lutte contre les maladies négligées, qui pourrait produire, « d’ici six mois à un an », de terribles effets en termes de surcroît d’infections et de décès.